Maître Véronique LEVRARD
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Juges des enfants d'ANGERS : activité dégradée, droit à un procès équitable en danger


Juges est enfants d’ANGERS : activité dégradée, droit à un procès équitable bafoué !

 

 

En ma qualité de praticienne des procédures d’assistance éducative, je ne peux que dénoncer la situation inadmissible du Tribunal judiciaire d’ANGERS, qui engage le droit à un procès équitable.

 

En effet, sur les 6 cabinets de juges des enfants (A, B, C, D, E, F), le cabinet C est actuellement vacant, le juge étant en congé maternité depuis le 15 octobre. Aucun juge n’est nommé sur le poste pendant ledit congé maternité, et l’information est donnée que les jugements seront rendus sans audience avant l’échéance, sur le renouvellement ou l’arrêt des mesures en cours. 

 

Des courriers sont adressés depuis plusieurs semaines aux avocats dans chaque dossier la lettre du Barreau de novembre 2024, annonce une « activité dégradée », en l’absence de juge placé sur le Cabinet C, mais aussi sur les autres Cabinets.

 

Le terme pudique d’ « activité dégradée » signifie une absence d’audience normalisée, le défaut de débat contradictoire ; c’est une violation du droit à un procès équitable garanti par la CEDH.

 

Il est indiqué dans chaque dossier concerné, qu’un courrier sera adressé à la famille, avec la possibilité de transmettre des observations écrites avant la date de prononcé annoncée par le courrier, que le service éducatif est chargé de donner connaissance à la famille de ses préconisations, que le rapport sera adressé systématiquement par mail à l’avocat, qui est invité à prendre des observations écrites, en contrepartie d’une AFM pour les dossiers bénéficiant de l’aide juridictionnelle.

 

Or, l’audience contradictoire est juridiquement impérative devant le juge des enfants.

 

Il n’y a eu qu’une dérogation exceptionnelle : dans les ordonnances COVID en 2020, qui permettaient l’absence d’audience, mais uniquement pour le renouvellement des mesures d’AEMO, et pour une période limitée à 6 mois.

 

Le principe du contradictoire s’impose de manière générale, en application des articles 14 et 16 du Code de Procédure Civile, et il induit dans une procédure orale, la tenue d'une audience, sauf application de l’article L 212-5-1 du Code de l’Organisation Judiciaire, qui renvoi à l’initiative des parties et à leur accord express – même dans cette hypothèse, l’audience est de droit si une partie en fait la demande.

 

Ces dispositions sont applicables devant le juge aux affaires familiales, dans la mesure où la possibilité est mentionnée dans l’article 1140 du Code de Procédure Civile.

 

Ces dispositions sont inapplicables devant le juge des enfants, dans la mesure où l’article 1182 du Code de Procédure Civile précise expressément pour l’assistance éducative, le principe général de l’audience, en ces termes :

 

« Le juge donne avis de l'ouverture de la procédure au procureur de la République ; quand ils ne sont pas requérants, il en donne également avis à chacun des parents, au tuteur, à la personne ou au représentant du service à qui l'enfant a été confié. 

Il entend chacun des parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l'enfant a été confié et le mineur capable de discernement et porte à leur connaissance les motifs de sa saisine. 

Il entend toute autre personne dont l'audition lui paraît utile. 

L'avis d'ouverture de la procédure et les convocations adressées aux parents, au tuteur, à la personne ou au représentant du service à qui l'enfant a été confié et au mineur mentionnent les droits des parties de faire choix d'un conseil ou de demander qu'il leur en soit désigné un d'office conformément aux dispositions de l'article 1186. L'avis et les convocations informent les parties de la possibilité de consulter le dossier conformément aux dispositions de l'article 1187. »

Le principe s’applique qu’il s’agisse de l’ouverture ou du renouvellement d’une mesure.

 

L'article 1184 alinéa 1, prévoit une seule et unique exception au principe d’audience contradictoire :

 

« Les mesures provisoires prévues au premier alinéa de l'article 375-5 du code civil, ainsi que les mesures d'information prévues à l'article 1183 du présent code, ne peuvent être prises, hors le cas d'urgence spécialement motivée, que s'il a été procédé à l'audition, prescrite par l'article 1182, de chacun des parents, du tuteur, de la personne ou du représentant du service à qui l'enfant a été confié et du mineur capable de discernement. »

Ainsi, seules les ordonnances de placement provisoire, interdiction de sortie du territoire, et les mesures d’investigation ou d’expertise, peuvent être prises sans audience, sous la condition d’une urgence spécialement motivée.

 

Tel n’est pas le cas pour une décision de fond, quelle que soit la nature de la mesure prononcée (AEMO ou placement), ou renouvelée.

 

L’audience est indispensable au débat contradictoire, pour permettre aux parties d’exposer leurs arguments devant leur juge, assistées de leur avocat, ce qui inclut les enfants, qui sont parties à la procédure, et leurs droits spécifiques, reconnus tant en droit interne qu’en application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).

 

En l’absence d’audience, les parties sont privées du contradictoire et de la possibilité de prendre connaissance personnellement du dossier auprès du greffe, comme le leur permet l’article 1187 du Code de Procédure Civile.

 

Le service a l’obligation d’informer les parties de ses préconisations, mais il ne lui appartient pas de se faire le porte-parole des autres parties. Le conflit d’intérêt est évident. Le service ne peut être chargé de rapporter les observations des familles ou des enfants.

 

Au-delà même du principe du contradictoire, c’est le droit à un procès équitable qui est en jeu, dans une matière hautement sensible, qui relève du droit au respect de la vie privée telle que la conçoit la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), et de la CIDE pour ce qui concerne les enfants.

 

L’absence d’audience n’est pas acceptable, par principe, qu’elle que soit la nature de la mesure en cours, et que les parties soient assistées ou non d’un avocat, mais encore plus sans avocat.

 

 

Je m’oppose au nom de mes clients à ce qu’aucun jugement soit rendu sans audience.

 

 

Le juge des enfants doit lui-même garantir le respect du contradictoire au terme de l'article 16 du Code de Procédure Civile.

 

Les mesures « palliatives » indiquées, l’ « activité dégradée » annoncée, ne répondent aucunement à garantir le principe du contradictoire, l’équité du procès. C’est d’autant plus vrai que les familles ne sont pas à égalité avec les services.

 

La vacance du Cabinet C est annoncée en l’absence de nomination de juge placé pendant le congé maternité (bien légitime) de la juge titulaire, ainsi que l’impossibilité matérielle, des autres juges à tenir les audiences de leur(s) collègue(s), d’autant plus que deux autres congés maternité sont prévus à bref délai.

 

 S’il faut se réjouir de ces naissances annoncées, il n’en résulte pas moins que dans quelques semaines, le service des juges des enfants devra fonctionner avec 3 juges pour 6 Cabinets, alors même que chaque juge des enfants dépasse déjà l’Equivalent Temps Plein en assistance éducative (sans compter le pénal qui vient en surplus), avec 480 à 500 dossiers en stock. 

 

Cette situation pousse le tribunal à envisager une « activité dégradée » sur le Cabinet C, mais aussi sur tous les autres Cabinets, « activité dégradée » qui a pour conséquence de traiter l’audience comme variable d’ajustement, au mépris du principe du contradictoire et du droit à un procès équitable.

 

L’organisation judiciaire est indigente, cette situation est honteuse, en terme de respect des droits de l’homme, et des droits des enfants.

 

Des juges placés doivent être nommés de toute urgence, sur le Cabinet C d’ores et déjà vacant, et sur les deux autres Cabinets (E et A) qui le seront à bref délai. 

 

Un juge pour chaque poste est nécessaire.

 

Je n’accepte personnellement pour aucun de mes dossiers qu’un jugement soit rendu sans audience, et j’envisage des appels en annulation systématiques, devant une Chambre Spéciale des Mineurs également en souffrance. 

 

Je rappelle à cet égard la jurisprudence de la Cour de Cassation qui impose à la Cour d’Appel d’entendre l’enfant s’il ne l’a pas été par le premier juge.

 

Les délais moyens actuels de comparution devant la cour d’appel étant de l’ordre de 10 mois, c’est l’efficacité du droit d’appel qui est en cause, avec un déni de justice à la clé.

 

 

Le rôle du juge des enfants n’est pas simplement de prononcer des mesures et leur renouvellement ou leur arrêt, d’entériner les préconisations des services ; son rôle est central dans la protection de l’enfance, central dans la responsabilisation des parents et dans le respect des droits des enfants ; l’audience est un moment indispensable.

 

L’absence d’audience produit des effets délétères, comme j’ai déjà pu le constater : une AEMO renouvelée sans audience pour 6 mois (pour convenance personnelle du juge mais avec l’accord préalable de toutes les parties à titre très exceptionnel) ; l’absence d’audience a conduit à une plus grande mise en danger de l’enfant bénéficiant de la mesure, alors qu’un recadrage en audience aurait peut-être pu permettre de l’éviter.

 

C’est ainsi également la protection même des enfants qui est en jeu.

 

Il n’est pas acceptable, que l’audience devienne une variable d’ajustement.

 

A l’heure où l’Aide Sociale à l’Enfance est décriée, à bout de souffle, dysfonctionnelle, maltraitante, la présence du juge, l’audience, sont d’autant plus indispensables.

 

L’organisation annoncée dans le contexte actuel, n’est au demeurant pas opérante : alors qu’il est demandé à l’avocat de formuler des observations avant la date annoncée pour le délibéré, l’ASE ne dépose ses rapports qu’à la veille de la date annoncée par le juge.

 

Familles, parents, enfants, avocats et magistrats sont ainsi pris en otage, et doivent travailler dans la plus grande urgence.

 

Seule la désignation de juges en urgence peut garantir le respect des droits fondamentaux des justiciables (parents et enfants).

 

J’ai adressé un courrier au Garde des Sceaux le 15 novembre dernier, j’espère qu’il sera lu.

 

J’ai alertée Madame Anne-Laure BLIN, députée du Maine et Loire, connaissant son attachement à la défense des droits des enfants.

 

Au-delà de toutes les procédures judiciaire que je mettrai en oeuvre pour la défense de mes clients (parents ou enfants), le politique doit se saisir de cette défaillance du système judiciaire.

 

Véronique LEVRARD

Avocate à ANGERS

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